La prochaine crise c’est par là…

À QUAND LA PROCHAINE CRISE ??

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On vient de « feter » le dixieme anniversaire de la faillite de la banque américaine Lehman Brothers qui a marque, non pas le debut de la crise de 2008, mais son extension à la finance planetaire ; et la question a naturellement surgi de savoir quand se produira la prochaine crise mondiale et d’ou elle pourrait venir. C’est a cette deuxieme question qu’on va apporter des elements de reponse, la premiere etant plutot l’affaire des devins et des voyants extra-lucides.

Nous procederons en deux temps : d’ou sont venues les crises du passe ? D’ou pourrait venir la prochaine ?

I) Les crises passées du capitalisme financier

 

Récapitulons d’abord les chocs subis par l’économie mondiale depuis le début du tout-financier libéral dans les années 80 :

  • 1987 : krach boursier mondial (actions)
  • 1989-91 : krachs immobiliers en série
  • 1994 : Krach obligataire mondial (dette)
  • 1997-98 (émergents seulement) : tous les marchés s’effondrent en Asie du Sud-est, etc.
  • 2000 : Krach mondial sur les actions (« technologique »)
  • 2007-2009 : Crise générale : immobilier, bourse, banques
  • 2011-14 (Europe seulement) : chocs budgétaires négatifs (politiques d’« austérité »), crises et récessions
  • 2014 : Krach pétrolier (favorable aux pays consommateurs seulement)

Sur ces huit chocs, sept (à l’exclusion de la crise de la zone Euro) ont été provoqués par l’explosion de bulles spéculatives alimentées par la dette privée – y compris le crédit aux spéculateurs. Et encore… Les politiques européennes de 2011-2014, causes des récessions, ont été officiellement justifiées par les attaques spéculatives contre les pays périphériques de la Zone Euro (les « PIIGS »), dont « les marchés » pouvaient penser – à juste titre – qu’ils ne seraient pas soutenus par les pays du cœur (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, France dans une certaine mesure) puisque Maastricht interdit la solidarité financière entre les Etats membres.

Autrement dit, il y a eu deux causes majeures et liées à tous ces accidents : les bulles, alimentées soit par la crainte (hausse des prix du pétrole), soit par l’euphorie (la « nouvelle économie » en l’an 2000) et la dette – souvent sous forme de crédit bancaire. Ces craintes ou ces espoirs peuvent être légitimes au début du processus, mais très vite la spéculation s’en empare et le marché dérape. Il faut bien comprendre par ailleurs que toute spéculation efficace suppose un crédit, seule façon de bénéficier d’un effet de levier qui amplifie les gains… ou les pertes.

La dette elle-même peut résulter du crédit bancaire (dette des ménages, des PME, des petites collectivités publiques,…) ou de l’émission de titres de dette sur les marchés (obligations ou autres titres plus risqués), par les grandes entreprises, les grandes collectivités publiques et les Etats.

Voilà pour les causes « structurelles ». Cela dit, la cause « immédiate » (le facteur qui, à un moment donné, déclenche le retournement, la goutte d’eau qui fait déborder le vase) est presque invariablement la hausse des taux de la Banque centrale américaine (la FED). Ces hausses de taux ont plusieurs effets :

  • Quand les taux remontent, cela provoque le retournement des marchés spéculatifs (krachs) et peut mettre en difficulté les emprunteurs, à taux variable notamment (ménages américains,…)
  • Quand les taux US montent, cela entraîne en général une hausse du Dollar qui alourdit la dette des emprunteurs en Dollars – notamment les pays émergents – et cela attire les capitaux aux USA au détriment de ces pays.
  • D’un autre côté, des taux très bas incitent à l’endettement – cas actuel

Le graphique suivant permet de constater que la hausse des taux a correspondu, depuis les années 80, avec les principaux krachs (1987, 1989, 1994, 2000, 2007) :

Les facteurs géopolitiques peuvent également jouer un rôle : la situation Grecque en 2010, la situation italienne et le « Brexit » aujourd’hui, la guerre commerciale et les embargos américains, tout cela peut servir de détonateur dès lors que les marchés réagissent brutalement. Nous y reviendrons en conclusion.II) Aujourd’hui : bulles et dettes

1) Les principales bulles

  • La bulle obligataire (notamment sur l’obligataire public et européen),
  • La bulle sur les actions (surtout aux USA, avec les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) qui font 20% du marché et les rachats massifs d’actions qui font monter les cours),
  • Les bulles immobilières (Europe, notamment Europe du Nord et scandinave, voire Paris),
  • Accessoirement pétrole et matières premières, tantôt à la hausse, tantôt à la baisse, et influencés notamment par les déclarations américaines ou saoudiennes.

A) La bulle obligataire

Elle concerne surtout l’Europe et les obligations publiques, comme les OAT françaises ou les Bunds allemands. Elle se traduit par des taux de marché anormalement bas (prix élevés = taux bas), comme le montre le graphique suivant (taux de l’OAT à 10 ans) :

Elle s’explique par les achats de la BCE, qui créent une demande et font monter les prix ; par la règlementation bancaire qui oblige les banques à détenir des titres « sans risque » ; par l’inquiétude des marchés face aux problèmes géopolitiques (Italie, Brexit, etc.), inquiétude qui explique que les marchés soient prêts à payer une prime au(x) Trésor(s) pour se mettre à l’abri dans des titres « sûrs ».

Les achats de la BCE vont cesser le 31 décembre de cette année ; les autres facteurs ne disparaîtront pas pour autant. Le principal facteur de risque de hausse des taux (donc de repli du marché) est ici le facteur italien, en cas de « bras de fer » entre l’Italie et la Commission : les marchés pourraient changer de comportement et décider de  spéculer sur l’éclatement de la zone, comme en 2012. A l’horizon de l’été 2019, un second risque sera introduit par la hausse (attendue, donc moins dangereuse) des taux directeurs de la Banque centrale, qui devrait se répercuter sur les taux « longs ». Enfin, le 1er novembre 2019, le successeur de Mario Draghi, l’actuel Président de la BCE, sera nommé, pour 8 ans, par les Chefs d’Etat européens. Le patron actuel de la Bundesbank tenait la corde jusqu’à une date récente, mais le jeu est relativement ouvert car plusieurs postes sont à pourvoir : les présidences de la Commission européenne, du Conseil européen et du Parlement européen, toutes trois à remplacer en 2019. En fin de compte, l’Allemagne pourrait accepter de troquer la Présidence de la BCE contre celle de la Commission, ce qui laisserait la place à un « modéré » à la tête de la BCE. En tout état de cause, « l’ère du Dottore Draghi », l’homme qui a sauvé la Zone Euro en 2012 et permis de relancer la croissance avec le QE (« Quantitative easing » ou « assouplissement quantitatif » : rachats massifs (jusqu’à 60 milliards d’euros par mois) de titres publics et privés par la BCE) de 2015, serait terminée.

B) La bulle sur les actions

 

Si l’on considère par exemple la NASDAQ américain (marché des valeurs technologiques), on remarque qu’il a très largement dépassé en 2018 son niveau d’avant krach de l’an 2000 :

Ce qui est rassurant dans une certaine mesure, c’est qu’il corrige assez sévèrement depuis quelques semaines :

Or, un marché qui réagit face à des risques ou à de mauvaises nouvelles (ou une hausse des taux) n’est pas fondamentalement spéculatif. Il n’en reste pas moins qu’il y a sur les marchés US des facteurs de surévaluation ou de hausse « artificielle » qui les fragilisent :

  • les rachats massifs d’actions par les sociétés (parfois à crédit), encouragés par la baisse de l’IS qui incite à rapatrier les capitaux placés à l’étranger (près de 200 milliards de dollars de rachats au 3ème trimestre 2018),
  • le poids des GAFA (si l’on ajoute aux 4 GAFA traditionnels Netflix et Microsoft, on a près de 2 fois la capitalisation du CAC 40, ou encore près de 20% du S&P 500). Ce sont justement ces valeurs qui corrigent sévèrement à l’heure actuelle (de -20 à -40%), comme en l’an 2000. Apple, le champion des rachats d’actions en 2018, est particulièrement visé.
  • la relance Trump (hausse des dépenses publiques et baisse des recettes fiscales), relance keynésienne type, qui n’agira que pendant un an ou deux : quid de la réaction des marchés quand la croissance retombera à son niveau « normal » (environ 2%) ? La réponse est peut-être que M. Trump répètera l’opération en vue de sa réélection, ce qui serait une fuite en avant dans le déficit et la dette…
  • les conséquences en retour de la « guerre commerciale » sur les Etats-Unis : accélération de l’inflation (du fait des taxes à l’importation) et hausse consécutive des taux…

La correction actuelle peut paraître saine, mais une mauvaise nouvelle inattendue pourrait la transformer en krach… A surveiller donc, étant entendu  que pour un épargnant à horizon long, elle fournit des opportunités appréciables !

C) Bulles immobilières ?

 

Celles-là sont plus localisées et à première vue moins dangereuses. Les bulles possibles – une fois n’est pas coutume – se situent plutôt en Europe (notamment en Europe du Nord et scandinave, dans les Pays Baltes, voire à Paris), ainsi qu’à Hong-Kong, Toronto et Londres. Le cas de Paris, qui est en passe de devenir la ville la plus chère d’Europe avec Londres, nous intéresse particulièrement. Outre le résidentiel (hors de prix, près de 10 000 euros en moyenne au m²), l’immobilier commercial y est très cher et de rentabilité médiocre (en particulier les bureaux dans Paris QCA – Quartier centre affaires). Selon la Banque suisse UBS, mais aussi selon la BCE, Paris pourrait être au bord d’une bulle immobilière.

Il n’y a sans doute pas de danger immédiat donc, mais beaucoup dépendra une fois de plus de la hausse des taux à venir qui peut pénaliser lourdement le marché. Ce qui est certain, c’est qu’il vaut mieux investir actuellement sur d’autres formes d’immobilier-papier que les bureaux français (par exemple SCPI diversifiées, SCPI spécialisées hors bureaux, logistique, SCPI investissant à l’étranger,…).

D) Pétrole et matières premières

 

Le baril de pétrole ayant baissé de 20% environ depuis 1 mois, il ne saurait être question de bulle. Mais il faut savoir que tous les producteurs, y compris les Etats-Unis qui doivent rentabiliser leur gaz et leur pétrole de schiste, d’exploitation très coûteuse, ont intérêt à la hausse. Par ailleurs les financiers, attirés par la baisse des prix actuelle, saisiront la moindre occasion de spéculer à la hausse…

Finalement, les bulles les plus préoccupantes semblent se situer sur les actions américaines et l’obligataire européen. Pour autant, les bulles ne sont pas la menace principale. La vraie menace aujourd’hui, c’est LA DETTE.

2) La dette

 

Dans ce qui suit, on s’intéressera essentiellement à la dette privée. La dette publique, outre qu’elle est sous contrôle dans la plupart des pays, est beaucoup moins fragile : les Etats sont éternels et empruntent sur de très longues échéances (50, voire 100 ans !) ; un Etat n’est pas saisissable, contrairement à une entreprise ou un ménage ; l’Etat peut lever des impôts en cas d’urgence,… Les risques de la dette publique sont minimes par rapport à ceux de la dette privée.

 

A) Dette : où en est-on ?

 

  • La dette globale (publique et privée), qui a presque triplé depuis 2001 pour atteindre 245.000 milliards de dollars en 2017 (plus de 3 fois le PIB mondial), dont 159.000 milliards pour la seule dette privée, un record historique.
  • Comme on l’a déjà indiqué, il peut s’agir de crédits bancaires (ménages, PME) ou d’émissions de titres sur les marchés (entreprises, banques, Etats). Les deux formes de dette sont dangereuses, la première si les créances bancaires se révèlent de mauvaise qualité et plombent les banques, la seconde si les marchés s’inquiètent et font monter les taux.
  • Par rapport aux années d’avant 2007, il y a deux nouveautés: la dette des pays émergents s’envole, ainsi que celle des entreprises non financières (comme en 1929…).
  • Dans le même temps, la dette des ménages américains est repartie à la hausse (comme en 2007…) et elle est parfois de très mauvaise qualité.

La dette globale : structure

A) La dette des entreprises émergentesLa dette la plus préoccupante du fait de sa croissance rapide est la dette privée des pays émergents (E sur le graphique ; A = pays avancés) :

Ceci concerne en particulier la CHINE, où la dette privée explose (elle approche les 40.000 milliards de dollars), notamment chez les « entreprises zombies » et les gouvernements locaux, qui ont surinvesti du fait d’un crédit devenu laxiste après la crise. Les créances bancaires sont fréquemment douteuses et beaucoup sont le fait du « shadow banking », ces banques non-officielles qui opèrent en dehors de toute réglementation.Heureusement, nous sommes en Chine : derrière la dette privée, il y a très souvent des entreprises et des banques publiques et finalement l’Etat chinois et ses méthodes d’intervention directes et brutales, ainsi que la colossale épargne chinoise – à l’opposé des USA pauvres en épargne. Il n’empêche : dans le futur, l’épicentre des séismes financiers se déplacera des USA vers la Chine…Pour l’instant, le risque mondial se situe plutôt aux Etats-Unis, comme d’habitude.B) La dette des ménages américains

Après quelques années de désendettement, de consommation prudente et de croissance forcément faible, les américains retombent dans leurs travers traditionnels, ce qui ne manque pas d’inquiéter leur Banque centrale :

  • Les « sub-primes » sont de retour, non dans l’immobilier, mais dans le crédit automobile: des prêts automobiles ont été octroyés à des ménages peu solvables, comme avant 2007. Leur nom : les «subprime auto loans» qui concerneraient, selon la FED, 23 millions de ménages, soit 25% des emprunteurs (on rappelle que la crise de 2007 a commencé par la faillite de 2 millions de ménages « seulement »). Bien entendu, comme pour l’immobilier en 2007, ces prêts à risque sont titrisés et redistribués aux investisseurs à travers divers instruments financiers. Bis repetita placent !
  • Pour faire bonne mesure, on ajoutera la dette étudiante tirée vers le haut par la hausse des frais d’inscription (30 000 dollars en moyenne par ancien étudiant et 40% de défauts attendus par la FED d’ici 2023, y compris chez des retraités qui n’ont toujours pas fini de rembourser…), ainsi que la dette sur les cartes de crédit, jugée « insoutenable » par la Banque centrale.
  • Seule consolation : la dette immobilière, bien qu’à un niveau record (plus de 9.000 milliards) paraît relativement « saine » pour l’instant (moins de défaillances qu’avant 2007).

Evidemment, le gouvernement américain, alerté notamment par la FED, pourrait s’inquiéter et prendre des mesures préventives. Ce n’est pas le cas : M. Trump préfère « détricoter » la Loi Dodd-Franck votée sous M. Obama pour assouplir la réglementation bancaire… Chacun son problème, celui de M. Trump étant sa réélection.

En amont de ces dettes colossales et de faible qualité, on trouve évidemment le problème de la répartition des revenus aux Etats-Unis, avec des classes moyennes précarisées voire appauvries, qui n’ont d’autre choix que de s’endetter pour maintenir leur consommation et spéculer sur des gains boursiers et immobiliers incertains.

Conclusion

Le pire n’est jamais certain. Toutefois il apparaît qu’on n’a pas vraiment tiré les leçons de la crise de 2007 – mais le voulait-on vraiment ? – et qu’on revient au « business as usual ». C’est dommage car nous avons connu 10 ans sans accident majeur, très probablement parce que certains comportements avaient changé, de gré ou de force (réglementations,…). Sans doute faudrait-il, pour changer la logique de ce système qui aime à se tirer des balles dans le pied, une vraie crise, plus sévère que la précédente.

 Jean-Marin SERRE

Professeur de l’Université d’Auvergne
Doyen de l’Ecole Universitaire de Management,
Co-directeur du master Gestion de Patrimoine

Photo : Russ Ward (@rssemfam)

SOURCE : https://www.aurep.com/newsletters/quelle-prochaine-crise-lembarras-du-choix/